MONOKINI - C'est une petite culotte de bain qui fête ses 50 ans cette année. Le monokini a choqué, énervé, agité, charmé, enfiévré les bords de mer depuis sa création en 1964. Aujourd'hui quinquagénaire, il semble commencer à passer de mode. À sa naissance, il a libéré les seins des femmes, aujourd'hui les plus jeunes lui préfèrent le bikini, trikini et même le une pièce.
S'il se fait plus rare, il n'a pas disparu des bancs de sable pour autant. Kate Moss, Naomi Campbell ou encore Heidi Klum lui font encore honneur tous les étés. Dans les années 60, il a levé le voile sur une partie du corps toujours jalousement protégée des regards, un changement qui a permis à son cousin le bikini d'asseoir en toute quiétude sa position et aux femmes d'avoir une nouvelle conscience de leur corps.
Rhabiller la femme avec le moins de tissu possible
Ce sont les baby-boomers qui vont faire de lui un inconditionnel de la virée à la plage. "Dans les années 60, les enfants du baby boom sont devenus des adolescents. [...] Ils constatent que c'est en exhibant leur corps qu'ils se distinguent le plus radicalement de leurs aînés", rappelle l'ouvrage collectif des éditions Taschen, Histoire de la mode du XXe siècle. Le moins que l'on puisse dire, c'est que ces jeunes adultes vont s'en donner à cœur joie. En mai 1964 André Courrèges et une styliste anglaise Mary Quant imaginent la mini-jupe. Un mois plus tard, un Autrichien installé en Californie va bousculer l'Amérique.
Pervers pour les uns, prophète pour les autres c'est ainsi qu'apparaît Rudi Gernreich dans l'article que lui consacre la Voguepedia, l'encyclopédie de la mode du magazine Vogue. . Ce styliste très en avance sur son temps a mis tout son art à déshabiller la femme ou plutôt à l'habiller avec le moins de tissu possible. Quand il imagine le monokini, c'est une création qu'il dit ne pas vouloir pas commercialiser.
C'est pourtant de toutes ses créations, celle qui lui donnera le plus de succès. Trois ans plus tard, le styliste fait la couverture du Time, il est présenté comme le "designer le plus excentrique et le plus en avance des États-Unis". Dans un article de Vogue France de la même année, "Personne n'a libéré le corps des femmes comme Rudi Gernreich". Ce premier monokini est en forme de V, la culotte est suspendue par deux lanières qui se rejoignent sur la nuque.
Rudi envisage alors ce maillot de bain comme une critique des soutiens-gorge pointus de l'époque. Lorsque son mannequin fétiche, Peggy Moffitt pose pour le magazine Women's Wear Daily en juin 1964 pour la première fois avec sa création, les critiques fusent... et les ventes décollent. Près de 3000 monokinis sont vendus en un été aux États-Unis. Le Pape le critique vivement, les Soviétiques y voient un signe de la décadence de l'Ouest, les stylistes lui rient au nez. Les Américaines, elles, apprécient l'audace.
"Les femmes enlevaient déjà le haut de leur maillot, il me semblait que c'était simplement l'étape suivante. Et je ne voulais pas que Pucci le fasse en premier", explique avec malice le créateur. En France, le monokini se généralise après la fièvre de mai 68 et le succès de stars comme Brigitte Bardot à l'aise dans leurs baskets et sans le haut. En témoigne, ce savoureux reportage sur la généralisation du monokini à Saint-Tropez à l'été 1970.
En 2014, les gendarmes ne sont plus occupés à chasser le monokini comme en 1970. Heureusement, ils risqueraient sinon le chômage. En effet, le monokini a tendance à se raréfier sur les bords de mer. Si la génération post 68 l'a porté aux nues si l'on peut dire, les générations suivantes ont progressivement délaissé le monokini pour plusieurs raisons. Cet été seules 18% des Françaises sont allées bronzer seins nus selon un sondage du Parisien publié en juillet dernier. Elles étaient encore 38% en 1995.
Lorsqu'on questionne les jeunes femmes qui ont vu leurs mères faire tomber le haut pour mieux bronzer, rares sont celles à reproduire la même chose. Plus qu'en 1970, aujourd'hui le soleil et ses dangers sont dans tous les esprits. Exhiber ses seins, ce n'est pas seulement les montrer aux yeux de ses congénères, c'est aussi les exposer au soleil : "J'ai surtout peur du soleil et de ses conséquences sur cet endroit sensible", explique Laura, 28 ans. "Que nous soyons plus habillées sur la plage que les générations précédentes, ce n'est pas par pudeur mais par prudence", assure-t-elle.
Pourtant de la pudeur, il y en a malgré tout. "Quand je suis avec des connaissances, je n'ai pas tellement envie de leur montrer mes seins, et quand il n'y a que des inconnus, je n'ai pas envie d'attirer les regards. Pourtant, j'aurais envie parfois", avoue Claudia, 26 ans. De l'avis des jeunes femmes interrogées, se mettre en topless attire aussi à coup sûr "les lourds", "les beaufs" qui écument les plages. Une chose est sûre, si les seins sont visibles partout à la télévision et dans la publicité, ce n'est pas la même chose quand il s'agit de se dévêtir. Pour enlever le haut, il faut oser, plus encore lorsque le topless est en perte de vitesse.
La preuve, dans le sondage du Parisien, 20 % des interrogés estiment que le topless va "contre la morale ou la religion" et 39 % des sondés pensent que le topless est "impudique". C'est l'avis de Caroline, 25 ans qui dit "fuir le voyeurisme". À l'inverse, trois jeunes norvégiennes ont entamé début 2014 un tour du monde topless qui remporte un franc succès sur les réseaux sociaux :
Et celles qui pendant les années 70, 80 et 90 ont préféré ne garder que le bas sur le sable, qu'en pensent-elle? "Ce n'est plus à la mode" affirme Aurélie, 59 ans qui a remis son haut de maillot cinq ans plus tôt. "Quand je m'y suis mise, c'était un geste engagé, un geste dans l'air du temps. Mais quand j'ai remarqué que seules les femmes de ma génération le faisaient encore ces dernières années, je me suis dit qu'il fallait passer à autre chose." raconte-t-elle.
Trikini, bikini, une pièce, le maillot comme toutes les autres pièces de notre vestiaire est aussi soumis à la mode. Ainsi, 75% des femmes interrogées par Le Parisien jugent le monokini "moins séduisant qu'un joli maillot". Attention, donc à ne pas enterrer trop vite cette belle culotte. La mode a ses cycles. S'il est en perte de vitesse, rien ne dit qu'il est en voie de disparition, ni même qu'il ne reviendra pas en force dans quelques années. Ce qui n'est pas le cas de toutes les créations de Rudi Gernreich. Quelques années avant sa mort, comme une ultime provocation, le styliste d'origine autrichienne avait inventé le pubkini. Un bas de maillot laissant entrevoir le haut du pubis. Une création restée très confidentielle.